Pindare, Le déluge de Deucalion

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« Chante plutôt la cité de Protogénie où, par l’ordre de Jupiter-Tonnant, Deucalion et Pyrrha, descendant du ciel, trouvèrent leur premier asile, où, sans suivre les lois de la nature, ils propagèrent leur race et firent sortir des pierres un peuple dont le nom seul rappelle l’origine. Consacre-leur des chants harmonieux, mais nouveaux ; car si la vieillesse est louable dans la liqueur de Bacchus, la nouveauté prêta toujours des charmes aux accents de la poésie. Je dirai donc qu’à cette époque, un déluge engloutit la terre sous la profondeur de ses ondes ; mais que bientôt, les flots, refoulés au loin, rentrèrent dans les abîmes creusés par la puissante main de Jupiter. Ce couple illustre, ô Épharmoste ! fut la souche de tes magnanimes aïeux; ainsi les héros de ton sang sont également issus des filles de Japhet et des fils valeureux de Saturne, qui régnèrent toujours dans Oponte, leur berceau et le tien. »

Pindare, Olympiques, chapitre IX, traducction Perrault-Maynand

Platon, L’âge d’or sous Saturne

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« On raconte que, du temps de Saturne, bien des siècles avant que les gouvernements  dont nous avons parlé fussent établis, il y eut un règne, une administration parfaite, dont le meilleur gouvernement d’aujourd’hui n’est qu’une imitation.

[…] La tradition nous a transmis la mémoire de cet âge heureux, où tous les biens venaient d’eux-mêmes au-devant de nos désirs. Voici quelle en fut la cause, à ce qu’on dit. Saturne reconnaissant que nul homme, comme nous l’avons remarqué plus haut, n’était capable de gouverner les hommes avec une autorité absolue, sans tomber dans la licence et l’injustice, établit dans les villes pour chefs et pour rois, non des hommes, mais des intelligences d’une nature plus excellente et plus divine que la nôtre, les démons, pour faire à notre égard ce que nous faisons nous-mêmes pour les troupeaux de petit et de gros bétail qui sont apprivoisés. En effet nous ne faisons point gouverner les bœufs par des bœufs ni les chèvres par des chèvres ; mais notre espèce, qui l’emporte de beaucoup sur la leur, prend elle-même ce soin. De même ce dieu plein de bonté pour les hommes préposa pour nous gouverner des êtres d’une espèce supérieure à la nôtre, les démons, qui, nous gouvernant avec une égale facilité de leur part et de la nôtre, firent régner sur la terre la paix, la pudeur, la liberté, la justice, et procurèrent à la race humaine des jours tranquilles et heureux. Ce récit ne sort point de la vérité, et encore aujourd’hui il nous enseigne qu’il n’est point de remède aux vices et aux maux des États qui n’auront pas des dieux, mais des hommes à leur tête ; que notre devoir est d’approcher le plus près possible du gouvernement de Saturne, de confier l’autorité sur toute notre vie publique et privée à la partie immortelle de notre être, et donnant le nom de lois aux préceptes de la raison, de les prendre pour guides dans l’administration des familles et des États. Au contraire, dans quelque gouvernement que ce soit, monarchique, oligarchique ou populaire, celui qui commande a-t-il l’âme asservie au plaisir et à des passions qu elle ne peut satisfaire, dévorant tout sans cesser d’être vide, consumée par un mal insatiable et sans remède, un pareil homme, qu’il commande à un particulier ou à un État, foulera aux pieds toutes les lois, et il est impossible, comme nous le disions tout à l’heure, d’espérer aucun bonheur sous un tel maître. C’est à nous de voir, mon cher Clinias, quel parti nous avons à prendre, et si nous profiterons des leçons que nous donne ce récit. »

Platon, Les lois, livre IV, traduction

Pindare, Le pays hyperboréen

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« Ni sur des vaisseaux, ni à pied, vous ne découvrirez la merveilleuse route qui mène aux fêtes des Hyperboréens ;

Où jadis fut accueilli Persée, chef des peuples , qui entra dans leurs palais et les trouva sacrifiant à dieu de magnifiques hécatombes d’ânes. Leurs banquets sans fin, leurs cris de joie charment surtout Apollon ; il rit en voyant se dresser les lubriques animaux.

La Muse pourtant n’est point proscrite par leurs mœurs. Mais de toutes parts les chœurs des vierges, les bruyantes lyres et les flûtes sonores sont en mouvement ; les cheveux ceints de lauriers d’or, ils se livrent à la joie des festins ; ni les maladies, ni la funeste vieillesse n’approchent de cette nation sainte; loin des fatigues et des guerres, ils vivent à l’abri des vengeances de Némésis.

Mais un jour, celui dont le cœur ne respirait que l’audace, le fils de Danaè, pénétra, sous la conduite de Minerve, dans l’assemblée de ces mortels heureux ; et il tua la Gorgone, et avec sa tête hérissée d’une crinière de serpents, il revint apporter la mort aux insulaires, qu’elle pétrifiait. »

Pindare, Pythiques, chapitre X, traduction Faustin Colin

Hermès Trismégiste, La restauration du monde par les sept dieux

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« Il y avait des ténèbres sans limites sur l’abîme, et l’eau, et un esprit subtil et intelligent, contenus dans le chaos par la puissance divine. Alors jaillit la lumière sainte, et sous le sable les éléments sortirent de l’essence humide, et tous les Dieux débrouillèrent la nature féconde. L’univers étant dans la confusion et le désordre, les éléments légers s’élevèrent, et les plus lourds furent établis comme fondement sous le sable humide, toutes les choses étant séparées par le feu, et suspendues pour être soulevées par l’esprit. Et le ciel apparut en sept cercles, et les Dieux se manifestèrent sous la forme des astres avec tous leurs caractères, et les astres furent comptés avec les Dieux qui sont en eux. Et l’air enveloppa le cercle extérieur, porté dans son cours circulaire par l’esprit divin. Chaque Dieu, selon sa puissance, accomplit l’œuvre qui lui était prescrite. Et les bêtes à quatre pieds naquirent, et les reptiles, et les bêtes aquatiques, et les bêtes ailées, et toute graine féconde, et l’herbe et la verdure de toute fleur ayant en soi une semence de régénération.

Et ils semèrent aussi les générations humaines pour connaître les œuvres divines et témoigner de l’énergie de la nature, et la multitude des hommes pour régner sur tout ce qui est sous le ciel et connaître le bien, pour croître en grandeur et multiplier en multitude, et toute âme enveloppée de chair par la course des Dieux circulaires, pour contempler le ciel, la course des Dieux célestes, les œuvres divines et les énergies de la nature, et pour distinguer les biens, pour connaître la puissance divine, pour apprendre à discerner le bien et le mal, et découvrir tous les arts utiles. Leur vie et leur sagesse sont réglées dès l’origine par le cours des Dieux circulaires et viennent s’y résoudre.

Et il y aura de grands et mémorables travaux sur la terre, laissant la destruction dans la rénovation des temps. Et toute génération de chair animée et de graine de fruits, et toutes les œuvres périssables seront renouvelées par la nécessité et le renouvellement des Dieux, et la marche périodique et régulière de la nature. Car le divin est l’ordonnance du monde et son renouvellement naturel, et la nature est établie dans le divin. »

Hermès Trismégiste, Corpus hermeticum, livre III, Discours sacré, traduction Louis Ménard

Platon, Le châtiment des Atlantes

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« Telle était la formidable puissance qui s’était élevée dans ce pays, et que la Divinité dirigea contre nous pour la cause que je vais vous dire. Pendant plusieurs générations, tant que les habitants de l’Atlantide conservèrent quelque chose de leur extraction divine, ils obéirent aux lois, et respectèrent le principe divin qui leur était commun à tous ; leurs âmes, attachées à la vérité, ne s’ouvraient qu’à de nobles sentiments ; leur prudence et leur modération éclataient dans toutes les circonstances et dans tous leurs rapports entre eux. Ne connaissant d’autres biens que la vertu, ils estimaient peu leurs richesses, et n’avaient pas de peine à considérer comme un fardeau l’or et la multitude des avantages du même genre. Au lieu de se laisser enivrer par les délices de l’opulence et de perdre le gouvernement d’eux-mêmes, ils ne s’écartaient point de la tempérance ; ils comprenaient à merveille que la concorde avec la vertu accroît les autres biens, et qu’en les recherchant avec trop d’ardeur, on les perd, et la vertu avec eux. Tant qu’ils suivirent ces principes et que la nature divine prévalut en eux, tout leur réussit, comme je l’ai raconté ; mais quand l’essence divine commença à s’altérer en eux pour s’être tant de fois alliée à la nature humaine, et que l’humanité prit le dessus, incapables de supporter leur prospérité, ils dégénérèrent ; et dès lors ceux qui savent voir purent reconnaître leur misère et qu’ils avaient perdu le meilleur de leurs biens ; tandis que ceux qui ne peuvent apprécier ce qui fait le vrai bonheur, les crurent parvenus au comble de la gloire et de la félicité, lorsqu’ils se laissaient dominer par l’injuste passion d’étendre leur puissance et leurs richesses. Alors Jupiter, le dieu des dieux, qui gouverne tout selon la justice, et à qui rien n’est caché, voyant la dépravation de cette race, autrefois si vertueuse, voulut les punir pour les rendre plus sages et plus modérés. »

Platon, Critias, traduction Victor Cousin

Platon, Récit de l’Atlantide par un prêtre Égyptien à Solon

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« Solon nous raconta qu’étonné de ce discours, il conjura les prêtres de lui apprendre exactement tout ce qu’ils savaient de l’histoire de ses aïeux. Je ne t’en ferai pas un secret, Solon, répliqua le vieux prêtre ; je satisferai ta curiosité, par égard pour toi et pour ta patrie, et surtout pour honorer la déesse, notre commune protectrice, qui a élevé et institué votre ville ainsi que la nôtre, Athènes issue de la Terre et de Vulcain et Saïs mille ans après. Depuis l’établissement de notre ville, nos livres sacrés parlent d’un espace de huit mille années. Je vais donc t’entretenir sommairement des lois et des plus beaux exploits des Athéniens pendant ces neuf mille ans. Une autre fois, quand nous en aurons le loisir, nous suivrons dans les livres  mêmes les détails de cette histoire. En premier lieu, si tu compares vos lois avec les nôtres, tu verras qu’un grand nombre de celles qui existaient autrefois chez vous sont aujourd’hui en vigueur parmi nous. D’abord, la classe des prêtres séparée des autres classes; puis celle des artisans dans laquelle chaque profession travaille à part, sans se mêler avec aucune autre; enfin la classe des bergers, celle des chasseurs et celle des laboureurs. Et tu le sais, la classe des guerriers est également séparée de toutes les autres, et la loi ne lui impose d’autre soin que celui de la guerre. De plus, les premiers en Asie, nous nous sommes servis des mêmes armes que vous, de la lance et du bouclier, instruits par la déesse qui vous les a données et ensuite les introduisit parmi nous. Quant à la science, tu vois qu’ici dès l’origine la loi en a réglé l’étude, depuis les connaissances qui ont pour objet la nature entière jusqu’à la divination et la médecine, allant ainsi des sciences divines aux sciences humaines, et étendant son empire sur toutes celles qui dépendent de celles-là. Ainsi cette belle constitution, la déesse l’a établie d’abord parmi vous; elle a choisi pour votre ville le lieu où vous êtes né, sachant bien que la bonne température du pays produirait des hommes d’une heureuse intelligence. Aimant la guerre et la science, elle a fait choix d’un pays qui pût porter des hommes tout-à-fait semblables à elle-même. Sous ces lois et d’autres meilleures encore, vos ancêtres ont surpassé en vertu tous les hommes, comme il convenait à des fils et à des élèves des dieux. Or, parmi tant de grandes actions de votre ville, dont la mémoire se conserve dans nos livres, il y en a une surtout qu’il faut placer au-dessus de toutes les autres. Ces livres nous apprennent quelle puissante armée Athènes a détruite, armée qui, venue à travers la mer Atlantique, envahissait insolemment l’Europe et l’Asie; car cette mer était alors navigable, et il y avait au-devant du détroit, que vous appelez les Colonnes d’Hercule, une île plus grande que la Libye et l’Asie. De cette île on pouvait facilement passer aux autres îles, et de celles-là à tout le continent qui borde tout autour la nier intérieure ; car ce qui est en deçà du détroit dont nous parlons  ressemble à un port ayant une entrée étroite: mais c’est là une véritable mer, et la terre qui l’environne, un véritable continent. Dans cette île atlantide régnaient des rois d’une grande et merveilleuse puissance; ils avaient sous leur domination l’île entière, ainsi que plusieurs autres îles et quelques parties du continent. En outre, en deçà du détroit, ils régnaient encore sur la Libye jusqu’à l’Égypte, et sur l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie. Toute cette puissance se réunit un jour pour asservir, d’un seul coup, notre pays, le vôtre et tous les peuples situés de ce côté du détroit. C’est alors qu’éclatèrent au grand jour la vertu et le courage d’Athènes. Cette ville avait obtenu, par sa valeur et sa supériorité dans l’art militaire, le commandement de tous les Hellènes. Mais, ceux-ci ayant été forcés de l’abandonner, elle brava seule les plus grands dangers, arrêta l’invasion, érigea des trophées, préserva de l’esclavage les peuples encore libres et rendit à une entière indépendance tous ceux qui, comme nous, demeurent en deçà des Colonnes d’Hercule. Dans la suite de grands tremblements de terre et des inondations engloutirent, en un seul jour et en une nuit fatale, tout ce qu’il y avait chez vous de guerriers ; l’île atlantide disparut sous la mer ; aussi depuis ce temps la mer est-elle devenue inaccessible et a-t-elle cessé d’être navigable par la quantité de  limon que l’île abîmée a laissé à sa place. »

Platon, Timée, traduction Victor Cousin

Hérodote, Sur les Hyperboréens

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« XXXII. Ni les Scythes, ni aucun autre peuple de ces régions lointaines, ne parlent des Hyperboréens, si ce n’est peut-être les Issédons ; et ceux-ci même, à ce que je pense, n’en disent rien : car les Scythes, qui, sur le rapport des Issédons, nous parlent des peuples qui n’ont qu’un œil, nous diraient aussi quelque chose des Hyperboréens. Cependant Hésiode en fait mention, et Homère aussi dans les Épigones, en supposant du moins qu’il soit l’auteur de ce poëme.

XXXIII. Les Déliens en parlent beaucoup plus amplement. Ils racontent que les offrandes des Hyperboréens leur venaient enveloppées dans de la paille de froment. Elles passaient chez les Scythes : transmises ensuite de peuple en peuple, elles étaient portées le plus loin possible vers l’occident, jusqu’à la mer Adriatique. De là, on les envoyait du côté du midi. Les Dodonéens étaient les premiers Grecs qui les recevaient. Elles descendaient de Dodone jusqu’au golfe Maliaque, d’où elles passaient en Eubée, et, de ville en ville, jusqu’à Caryste. De là, sans toucher à Andros, les Carystiens les portaient à Ténos, et les Téniens à Délos. Si l’on en croit les Déliens, ces offrandes parviennent de cette manière dans leur île. Ils ajoutent que, dans les premiers temps, les Hyperboréens envoyèrent ces offrandes par deux vierges, dont l’une, suivant eux, s’appelait Hypéroché, et l’autre Laodicé ; que, pour la sûreté de ces jeunes personnes, les Hyperboréens les firent accompagner par cinq de leurs citoyens, qu’on appelle actuellement Perphères, et à qui l’on rend de grands honneurs à Délos ; mais que, les Hyperboréens ne les voyant point revenir, et regardant comme une chose très-fâcheuse s’il leur arrivait de ne jamais revoir leurs députés, ils prirent le parti de porter sur leurs frontières leurs offrandes enveloppées dans de la paille de froment ; ils les remettaient ensuite à leurs voisins, les priant instamment de les accompagner jusqu’à une autre nation. Elles passent ainsi, disent les Déliens, de peuple en peuple, jusqu’à ce qu’enfin elles parviennent dans leur île. J’ai remarqué, parmi les femmes de Thrace et de Pæonie, un usage qui approche beaucoup de celui qu’observent les Hyperboréens relativement à leurs offrandes. Elles ne sacrifient jamais à Diane la royale sans faire usage de paille de froment.

XXXIV. Les jeunes Déliens de l’un et de l’autre sexe se coupent les cheveux en l’honneur de ces vierges hyperboréennes qui moururent à Délos. Les filles leur rendent ce devoir avant leur mariage. Elles prennent une boucle de leurs cheveux, l’entortillent autour d’un fuseau, et la mettent sur le monument de ces vierges, qui est dans le lieu consacré à Diane, à main gauche en entrant. On voit sur ce tombeau un olivier qui y est venu de lui-même. Les jeunes Déliens entortillent leurs cheveux autour d’une certaine herbe, et les mettent aussi sur le tombeau des Hyperboréennes. Tels sont les honneurs que les habitants de Délos rendent à ces vierges.

XXXV. Les Déliens disent aussi que, dans le même siècle où ces députés vinrent à Délos, deux autres vierges hyperboréennes, dont une s’appelait Argé, et l’autre Opis, y étaient déjà venues avant Hypéroché et Laodicé. Celles-ci apportaient à Ilithye (Lucine) le tribut qu’elles étaient chargées d’offrir pour le prompt et heureux accouchement des femmes de leur pays. Mais Argé et Opis étaient arrivées en la compagnie des dieux mêmes (Apollon et Diane). Aussi les Déliens leur rendent-ils d’autres honneurs. Leurs femmes quêtent pour elles, et célèbrent leurs noms dans un hymne qu’Olen de Lycie a composé en leur honneur.

Les Déliens disent encore qu’ils ont appris aux insulaires et aux Ioniens à célébrer et à nommer dans leurs hymnes Opis et Argé, et à faire la quête pour elles. C’est cet Olen qui, étant venu de Lycie à Délos, a composé le reste des anciens hymnes qui se chantent en cette île. Les mêmes Déliens ajoutent qu’après avoir fait brûler sur l’autel les cuisses des victimes, on en répand la cendre sur le tombeau d’Opis et d’Argé, et qu’on l’emploie toute à cet usage. Ce tombeau est derrière le temple de Diane, à l’est, et près de la salle où les Céiens font leurs festins. »

Hérodote, Histoires, livre IV, traduction Pierre-Henri Larcher