Aulu-Gelle, Les devoirs d’un Romain

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« Un jour plusieurs illustres Romains avancés en âge, et possédant plus que personne la connaissance et le souvenir des mœurs et des usages de l’ancienne Rome, dissertaient en ma présence sur l’ordre et l’importance des devoirs. Il s’agissait de donner la règle d’après laquelle on doit se déterminer, toutes les fois qu’il est nécessaire de faire un choix entre plusieurs devoirs.

On admettait sans contestation que, d’après les usages reçus de tous temps chez le peuple romain, les parents viennent en première ligne ; aussitôt après, les pupilles confiés à notre bonne foi et à nos soins ; ensuite les clients qui se mettent sous notre protection et sous notre patronage ; en quatrième lieu nos hôtes ; enfin nos proches, nos alliés. L’antiquité nous fournit mille preuves et mille témoignages de cette hiérarchie des devoirs. Je vais donner ici quelques renseignements que je trouve sous ma main ; ils concernent les clients et les proches.

Caton, dans le discours qu’il prononça devant les censeurs contre Lentulus, s’exprime ainsi : « Nos ancêtres regardaient comme un devoir le plus sacré de défendre les intérêts de nos pupilles que d’être fidèles envers nos clients. On peut porter témoignage contre un parent éloigné en faveur d’un client ; mais personne ne porte témoignage contre son client. Après les devoirs de père il n’en est point de plus sacrés que ceux de patron. »

Cependant Massurius Sabinus, dans le troisième livre du Droit civil, met l’hôte avant le client. Voici ses propres paroles : « Nos ancêtres ont établi ainsi la hiérarchie des devoirs : d’abord les pupilles, puis les hôtes, les clients, ensuite les parents à un degré éloigné, enfin les parents par alliance. En raison de l’importance des devoirs imposés aux tuteurs, les droits des femmes passaient avant ceux des hommes ; mais la tutelle d’un jeune homme imposait des devoirs d’un ordre plus élevé que celle d’une femme ; bien plus, en justice, dans le cas où un père eût laissé en mourant la tutelle de son fils à des hommes soutenant un procès contre lui, ces derniers devaient changer de rôle et adopter la cause de leur pupille. » Ce témoignage acquiert plus de force encore de l’autorité de C. César, grand pontife, qui, dans son discours pour les Bithyniens, s’exprime ainsi dans son exorde : « Les liens sacrés de l’hospitalité qui m’attachent au roi Nicomède, l’amitié de ceux qui sont en cause, me faisaient un devoir, M. Vinicius, de prendre leur défense. Car, de même que la mémoire des morts doit être religieusement conservée dans le cœur de leurs parents, de même aussi on ne peut, sans se couvrir d’infamie, abandonner ses clients, dont les droits viennent immédiatement après nos devoirs envers nos proches. »

Aulu-Gelle, Nuits attiques, livre V, chapitre XII, traduction Nisard